La démarche du Roy
Hart Theatre nait en 1920 d'une recherche personnelle et vitale sur la voix, élargie 50 ans plus tard aux dimensions d'une communauté théâtrale à trés forte identité. L'histoire du Roy Hart
Theatre témoigne d'un cheminement exceptionnel rendu possible par le charisme et la fermeté de conviction de ses fondateurs. La relation unique que la méthode Roy Hart entretient avec son
instrument sonore, entre autres réputée pour ses incidences thérapeutiques, a pour point de départ le traumatisme psychique dont fut victime son inspirateur, Alfred
Wolfsohn, brancardier allemand sur les charniers de l'Europe en guerre.
Alfred Wolfsohn, père spirituel du Roy Hart Theatre est victime d'hallucinations auditives
morbides. Après un séjour inefficace en sanatorium où il est admis pour névrose de guerre, il décide de prendre en main sa guérison et invente une forme de thérapie par le chant qui peut
s'apparenter à un exorcisme oral. Convaincu que s'il chantait les sons qui hantaient son esprit il serait capable de les faire taire, il s'oriente vers un traitement expulsif utilisant en
guise de lavement les mêmes symptômes que son mal emploie pour apparaitre. Wolfsohn formule en 1920 le premier procédé d'une cure par le chant dont il va
personnellement évaluer l'efficacité, avant de proposer sa méthode sous forme de cours de voix à des personnes atteintes de problèmes similaires qu'il va soumettre à l'examen d'une conduite
cathartique.
A partir de 1930, les notions jungiennes d'anima et d'animus dissociant la personnalité humaine en un
couple d'opposés, lui offrent une nouvelle orientation de travail. Persuadé que notre psychisme est en sa nature originelle androgyne, Jung fait de l'inconscient le siège d'une sexualité
contraire à l'individu, toute la tache du thérapeute étant de faire surgir à la conscience sa partie adverse, afin de réaliser un équilibre fédérateur.
En repoussant toujours un peu plus loin ses limites, au point de dépasser des registres connus de la voix chantée (poitrine, médium, tête, fistulaire), il découvre qu'il est capable d'atteindre une amplitude
exceptionnelle, franchissant bientôt les 2 notes extrêmes de son piano de concert qu'il utilise comme instrument de mesure. Wolfsohn invite à oublier les différences oppressantes que sont l'âge
et le sexe, jusqu'aux obligations sociales qui fractionnent l'individu, qui subdivisent et épuisent artificiellement sa voix.
Le chant est une possibilité et un moyen de se connaitre soi-même et de transformer
cette reconnaissance en vie consciente. L'accès à cette expérience ultime nous renvoie de nouveau au processus jungien de centralisation de la personnalité auquel Wolfsohn, empreint de
nostalgie transcendante assigne un mouvement ascensionnel. L'approche générale du Roy Hart Theatre était conditionnée en partie par un objectif messianique, l'étendue maximale des registres de
voix étant la clé de la libération de l'homme intérieur.
Le théâtre devient outil de sublimation thérapeutique en étroite relation avec la méthode de
projection vocale des archétypes jungiens (anima-animus) préconisée par Wolfsohn et propice à une théâtralisation.
Chassé d'Allemagne par le nazisme, Wolfsohn se réfugie à Londres en 1939 et y poursuit ses recherches
et son enseignement.
Roy Hart, comédien natif d'Afrique du Sud, y rencontre Wolfsohn
en 1947 et devient l'un de ses élèves les plus assidu. A partir de 1950
il reprend certains des élèves de Wolfsohn, prolonge son travail sur la voix et ses possibilités thérapeutiques. Après la mort d'Alfred Wolfsohn en 1962, il crée un groupe avec les étudiants qui souhaitent continuer.
Survient alors pour Roy Hart une période d'activité individuelle artistique et
psycho-thérapeutique internationale intense, ainsi que de créations collectives au sein de la compagnie baptisée en 1969 les Roy Hart Speakers/Singers
puis le Roy Hart theatre à partir de 1970. En 1974 forte d'une popularité grandissante,
la compagnie dirigée par Roy Hart, à l'étroit dans ses studios de Londres, vient s'installer à Malérargues en France.
Aujourd'hui le Centre Artistique International Roy Hart
a fait école dans le monde entier. Un noyau de résidents demeure à Malérargues, rejoints chaque été par des membres venus du monde entier. Sur ce lieux de rencontres
et d'entretien d'un héritage collectif réactualisé, les artistes-professeurs
transmettent et partagent cet héritage précieux dans le cadre d'un développement de l'expression vocale sous la forme de stages de voix proposés à une clientèle
internationale et régulière. Les sons sont intuitivement découverts en partant de la fréquence fondamentale de l'élève vers les directions voisines, du chuchotement susurré du bout des lèvres au
cri désinhibiteur. On évolue donc dans les gammes jusqu'à se laisser surprendre par les qualités
vibratoires de sons inconnus.
Hormis la filiation jungienne, on aura reconnu dans cette démarche l'empreinte trés forte des pratiques yogiques et tantriques ou la diffusion maîtrisée de la voix et son corollaire
le souffle rend précisément possible "l'auto révélation du soi" (Mircea Eliade,
techniques du yoga). Chaque stagiaire y revit l'étonnement et l'épanouissement de Roy Hart après
sa première rencontre avec Wolfsohn: « Il m'a accepté tel que je suis ».
La
méthode Roy Hart s'est toujours appuyée sur l'idée d'une traversée corps-voix qui jamais ne s'épuise, éternisant la voix chantée sur les chemins d'un nomadisme
musical. Dans la production vocale, nous reconnaitrons les brames du chamane sibérien,
certains sons évoquant les appels de chasse modulés en voix de fausset des pygmées Aka, ou encore la voix nasale des Benda Linda de Centrafrique, les masques vocaux du golfe de Guinée, les
supplications rauques du flamenco andalou ou même celles du pansouri coréen, sans oublier les célèbres chants diphoniques ou " voix de cristal" de la république de Tuva dont on peut
souligner la curiosité technique.
L'étendue vocale et la virtuosité de Roy Hart ont conduit des compositeurs comme Stockhausen à écrire
des pièces spécialement pour sa voix. Une bien belle approche tant vocale que thérapeutique.